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Une cabane recouverte de copeaux de châtaignier, à droite des fagots de feuillards. (carte postale ancienne)

Le texte qui suit a été écrit par Mr Claude LEBRETON, il s'éloigne un peu du monde des abeilles mais pourra je l'espère intéresser mes lecteurs internautes. Je trouve d'ailleurs que l'auteur a un vrai talent littéraire. Le sujet de cette histoire (vraie) en est la vie d'autrefois dans les bois de châtaigniers du haut bocage Vendéen (France). Je pense que nous sommes aux alentours de 1947, un tonnelier va chercher chez son fournisseur de cercles (cerclier) les feuillards qui lui permettront de réparer fûts et tonneaux, il emmène son fils avec lui...


La forêt et les Gaulois.
Les futailles. Il suffisait de faire une cave dans un village pour que le voisin demande de passer chez lui inspecter ses fûts avant les vendanges. Ils changeaient les cercles défectueux, il arrivait même d'en changer des bons par nécessité. Il fallait bien, les enfants étaient là autour des ouvriers attendant un cercle pour jouer au cerceau. Il fallait aussi colmater les petites fuites et pour ce faire, glisser des joncs entre les douelles. Pour de plus gros travaux, changer un fond ou une douelle, le travail s'effectuait à l'atelier.
Pas besoin de téléphoner ou d'écrire pour avoir un transporteur, il suffit de tendre l'oreille. Lorsque vous entendez un camion il vous suffit de sortir sur le bord de la route et de faire signe au chauffeur. Celui-ci s'arrête, prend vos commissions et le soir ou le lendemain vous apporte vos marchandises. Ce jour là mon père avait décidé d'aller voir son fournisseur de cercles. Lorsque je le vis attendre le camion je flaire l'occasion d'aller moi aussi faire une balade. Le camion qui remontait de Nantes s'arrête, sans doute comme convenu la veille ou quelques jours auparavant. Alors que mon père s'apprêtait à monter dans la cabine, je dis sur un ton suppliant "moi aussi je veux y aller ". Le chauffeur a entendu "tu devrais être monté " dit-il. Quelle joie, c'était la première fois que j'allais monter dans un camion, j'entendis ma mère dire quelque chose comme "tu ne vas l'emmener comme ça ! ". Il ne faut retarder le mouvement, déjà mon père me hissait. Installé dans la cabine entre les deux hommes, je regardais la route mais quel boucan il faisait ce moteur. Le camion chargé de sable de Loire, peinait, le chauffeur jouait beaucoup avec la boite de vitesse. Une fois le sable déchargé chez un maçon, nous partîmes pour le Bois-jol
i d'Ardelay. Mon père qui avait travaillé aux Herbiers devait connaître la maison du fournisseur. La patronne (femme du patron) nous indiqua le chemin de la taille.

Le camion s'engagea dans la forêt par un chemin si étroit que j'aurais affirmé qu'il ne pouvait pas  passer. Après avoir roulé au pas, frottant les frondaisons, je ne sais combien de kilomètres nous avons fait la distance me sembla interminable. Notre chauffeur lui ne semblait pas trop s'inquiéter. sauf une fois où il arrêta son camion, descendit pour sonder un passage à gué boueux. Nous arrivâmes tout d'un coup dans une clairière, 'la taille". Subitement je comprenais d'où venait l'expression "c'est là la taille", l'origine de l'expression était bien là, l'endroit ou l'on taille le taillis. Là ou se fait le travail. Cette clairière venait d'être crée, car la clairière n'était pas encore très grande. Au centre une hutte de bois comme celle des gaulois avec un trou au centre du toit par lequel sortait de la fumée, comme celles que je voyais dans les livres. Je fus saisi, je ne pensais pas qu'à notre époque il put y avoir encore des gaulois vivant au milieu des forêts. Les Gaulois n'étaient donc pas tous morts, je les voyais de mes yeux. Ces hommes, vêtus d'un large tablier en cuir, (devanteau), sabots et guêtres, ils avaient même des moustaches. Serpe à la main ils avaient l'air terribles. J'étais ébahi, inquiet et ravi de voir ce que je pensais être d'un lointain passé. Aucun bruit de moteur pétaradant, les tronçonneuses n'existaient pas encore. Dans cet univers végétal les coups de haches et de serpes n'avaient aucune résonance. Sous un abri très rudimentaire, une meule en grès pour affûter les outils tranchants. Une chevrette avec scie à bûche pour débiter de longueur des billons.
Fabrication des cercles de barriques. L'abatteur apporte en les traînant des fagots de brins de c
hâtaignier. Un autre les fends par le milieu avec dextérité sur une longueur de 3.00 ml. Un autre les introduit dans une espèce de machine à rouleaux pour les cintrer et les mettre à la juste largeur, quand il en a suffisamment, il fait des ligatures à cinq ou six cercles avec des pelures longues d'un bon mètre. Ensuite il les superposes entre piquets, place les autres brins à l'intérieur, par vingt quatre. Une fois le moule complet il le ligature avec du fil de fer.
Un autre coupait à la hache des perches pour en faire des piquets de clôture. Un autre sur un banchoir, pelait avec une plane (couteau à deux manches) des brins assez gros que je reconnu, pour être des (rolons) barreaux pour les râteliers et les échelles. Deux autres classaient des perches par grosseur et longueur. Enfin un autre fendait des billons longs de un mètre et de quinze à vingt centimètres de diamètre avec une hache énorme. Il faisait des éclisses de 3 cm d'épaisseur pour faire des douelles. Pour la tonnellerie, les bois doivent être fendus, non sciés. Une telle activité dans cette forêt était surprenante. C'était le travail des éclisseurs, qui exercent leur métier au cœur des forêts de châtaigniers du coté d'Ardelay et de Mouchamps (en Vendée, France).
Mon père avait donné sa commande à celui qu'il semblait connaître, le patron sans doute. Je me souviens d'un homme assez âgé portant lui aussi des sabots avec des guêtres de cuirs enserrant les jambes de sa culotte. Les guêtres venaient recouvrir le dessus des sabots afin de tenir les pieds au sec en cas de pluie et de protéger les jambes d'un coup de serpe dévié par un obstacle.
Le chauffeur du camion monta dans la benne, le patron dut désigner des hommes pour approcher les bois car aucun des huit hommes ne s'était déplacé de sa taille. Rapidement approvisionné, la benne se remplit de moules de cercles pour barriques et quelques uns pour des demie-barriques, beaucoup de piquets de châtaignier, quelques perches, des barreaux de râteliers (rolons) dix toises d'éclisses. Le chargement terminé, le chauffeur, mon père et le patron burent un coup à la gourde.
Sans rien demander à personne je suis entré voir l'intérieur de la cabane. Plutôt grande, au milieu une marmite de fonte suspendue à une chèvre en fer noir, à l'odeur je reconnus une purée de pois. Un tas de bois sec à proximité, un morceau de jambon posé sur une table basse. Deux bancs on ne peut plus rustique. Il y faisait bon, un peu de fumée piquait les yeux. Ma curiosité satisfaite je sortis prendre l'air.
Les hommes échangeaient quelques mots. "Alors on le garde huit jours." J'ai tout de suite compris qu'il s'agissait de moi. La réponse fut immédiate " Non, j'veux pas". Ils se saluèrent j'étais dans la cabine du camion avant tout le monde, mon père cette fois n'avait pas eu à m'aider pour monter. Content de ne pas rester avec ces sauvages, je repartais pour la Boissière enchanté de ma découverte, j'allais en avoir des choses à raconter.
                                                                                       Récit de Claude LEBRETON, Histoires de Papy pour ses onze petits enfants


Remarquez bien l'ambiance de travail laborieux et calme qui se dégage de ces propos, comme une force tranquille, on a là une juste description de la "vie dans les bois" à cette époque... ah, j'oubliais, le "patron Gaulois" c'est mon pépé...


Les taillis de châtaigniers pouvaient produire des perches longues et régulières, autrefois utilisées dans beaucoup de domaines : mytiliculture, tonnellerie, pêche, remblais, agriculture...

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